Kiné, psy, médecin, etc. Pourquoi travailler ensemble ?
Sophie Conrard
Kiné actualité n° 1599 - 09/12/2021
Le 25 novembre était organisé, à l’IFMK de Montpellier et en visio, une conférence sur l’intérêt de travailler en équipe pluridisciplinaire autour des patients douloureux chroniques. À la manœuvre, un groupe d’étudiants de 2e année piloté par Mathias Willame, kinésithérapeute libéral et enseignant. Lui-même a pris l’habitude de travailler en étroite collaboration avec un médecin de la douleur, Olivier Bredeau [1] et une psychologue, Stéphanie Boulet [2], qui étaient les principaux orateurs lors de cette soirée.
Est intervenue également le Dr Stéphanie Huberlant [3], une gynécologue qui travaille avec Mathias Willame auprès de patientes atteintes de problématiques de la statique rachidienne, par exemple lors de leur grossesse, ou d’endométriose. “La douleur se chronicise chez 80 % des femmes souffrant de cette maladie, entraînant une perte de mobilité et altérant leur qualité de vie. À partir du moment où il y a une prise de conscience de l’équipe médicale, mais aussi de la patiente, qu’il faut convaincre des bienfaits de la prise en charge pluridisciplinaire au long cours qu’on lui propose, on peut faire beaucoup” pour améliorer sa qualité de vie, a insisté la gynécologue.
Le Dr Bredeau a proposé une présentation à la fois dense (qu’il serait difficile de résumer ici) et très humaine. Il a notamment insisté sur l’importance de “savoir écouter un patient qui a mal”, afin de ne pas lui proposer un projet de soins théorique qui serait inadapté, et sur la complexité de la douleur chronique. Notamment parce que “la symptomatologie douloureuse évolue et se modifie au fil du temps, avec de fortes répercussions sur la vie du malade”.
Orienter vers un psychologue : pourquoi et comment ?
“Pour une évaluation motivationnelle du patient douloureux chronique et savoir s’il sera en capacité de supporter la charge de travail qu’on va lui proposer”, explique Mathias Willame, pour qui “soigner un patient douloureux chronique, c’est accueillir la complexité d’une personne. Il n’y a pas de causalité linéaire”. Par ailleurs, “la douleur chronique est parfois l’expression d’une histoire traumatique indicible”, complète Sylvie Boulet. Lorsque le kinésithérapeute lui adresse quelqu’un, la psychologue commence par évaluer la demande du patient : que veut-il ? Quels sont ses objectifs ? Puis elle évalue “la problématique psycho-traumatique et psycho-pathologique sous-jacente”, ainsi que “la part défensive de la problématique douloureuse”.
La prise en charge repose en partie sur la psycho-éducation et l’ETP. Le projet thérapeutique est co-construit avec le patient et le kinésithérapeute.
Si besoin, le patient est orienté vers une psychothérapie spécifique adaptée telle que l’EMDR ou l’hypnose médicale. Mathias Willame et Stéphanie Boulet ont mis en évidence les similarités entre le fonctionnement du système limbique face à un stress extrême et la schématisation des structures impliquées dans le mouvement.
Comme un sportif blessé
“Un patient chronique est comme un sportif blessé qu’il faut rééduquer et réhabiliter progressivement. Auprès de lui, le kinésithérapeute a sa place, de son évaluation à sa consolidation fonctionnelle”, poursuit Mathias Willame. Il est important pour le patient de comprendre que “ça ne peut pas aller vite”.
Une équipe pluridisciplinaire doit se déployer autour de lui. Ce qui concerne le système volontaire (muscles, squelette) sera pris en charge par le kinésithérapeute, un coach APA, un médecin spécialiste. Ce qui touche au système régulateur (le cerveau) nécessitera peut-être l’intervention d’un psychologue, d’un médecin algologue. Et ce qui relève du système autonome (les viscères) demandera peut-être l’implication d’un nutritionniste, un cardiologue, etc.
Des étudiants très impliqués
À plusieurs reprises, les K2 organisateurs de cette soirée ont pris la parole : Mathilde, ayant effectué un stage au cabinet de Mathias Willame, a raconté avoir été confrontée à des “situations déstabilisantes” avec des patients hyperalgiques, auprès desquels elle s’est “sentie inutile”. Thomas a proposé une définition de la “médecine intégrative”, insistant sur l’importance de “personnaliser le plus possible la prise en charge en tenant compte de la sphère biopsychosociale du patient”. Il faut “chercher à connaître le patient dans sa globalité pour pouvoir agir sur tous les leviers disponibles” et “le kinésithérapeute, en travaillant sur la fonction, lui permettra progressivement de recréer du lien social, renouer avec ses activités, etc., contribuant ainsi à améliorer sa qualité de vie”.
[1] Praticien hospitalier. Hôpital Carmeau, Nîmes. Membre de la SFETD et de Convergence PP.
[2] Psychologue clinicienne, spécialisée dans la prise en charge du psychotraumatisme. Praticienne EMDR Europe et superviseur. Secrétaire générale du Réseau Diane Sein du Gard.
[3] Obstétricienne et spécialiste de la reproduction. Maître de conférences des universités, CHU de Nîmes.
© Mathieu Willame
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