L’hebdomadaire de la profession
pour les kinésithérapeutes

Épidémie de covid-19, à l'hôpital, la crise laissera des traces

Soins auprès d'un patient sous assistance respiratoire dans un coma artificiel. Équipement selon le protocole de protection des maladies infectieuses. Unité Covid-19 du Service de réanimation de l'Hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux.

Sophie Conrard
Kiné actualité n° 1564 - 23/04/2020

Du jour au lendemain, les kinésithérapeutes à l'hôpital, en clinique, en Ehpad se sont trouvés confrontés au Covid-19. Comment vivent-ils la crise actuelle ? Se sentent-ils suffisamment formés et informés pour travailler dans de bonnes conditions ? Bénéficient-ils de matériel de protection adapté ? Nous leur avons posé la question.

Tout a commencé par une vaste réorganisation. Certains services ont changé de vocation, du personnel a été réaffecté, les piscines de balnéothérapie et les plateaux de rééducation ont fermé, les consultations externes aussi, certains patients ont été renvoyés chez eux précocement. Des “unités covid” ont été créées au sein des hôpitaux et cliniques, afin d’isoler ces patients des autres.

“Pour les kinésithérapeutes, l’activité a d’abord diminué de façon significative, en toute logique. Ceux qui se sont retrouvés disponibles ont prêté main forte aux infirmières et aux aide-soignantes qui étaient déjà épuisées”, raconte Aude Quesnot, kinésithérapeute et cadre de santé dans un hôpital à Versailles. “Aujourd’hui, nous entrons dans une 2e phase. Nous nous sommes aperçus que les patients ne trouvaient pas de kinésithérapeutes en ville, puisque les cabinets sont fermés, aussi nous les suivons en téléconsultation, 1 à 3 fois par semaine selon leurs besoins. Il est important de leur fixer des objectifs, de renouveler leurs exercices. Et des équipes dédiées (2 kinésithérapeutes et 2 APA) interviennent dans l’unité covid pour essayer de réautonomiser les patients. Nous avons fait le choix de ne pas y faire tourner le personnel afin d’économiser le matériel de protection spécifique : celui qui y reste toute une journée n’use qu’une blouse, une charlotte, etc.”, précise la cadre de santé.

Une 3e phase sera bientôt amorcée. Des stagiaires ont été rappelés, des CDD renouvelés. Après la mi-avril, l’hôpital va ouvrir des unités de rééducation pour les patients post-covid à plus de J24 après l’apparition des premiers symptômes. “Il y aura 2 secteurs : celui de courte durée (3 ou 4 semaines) pour les rééducations post-opératoires ou les patients fragilisés par le covid qui ont besoin de récupérer avant de rentrer chez eux ; et un secteur pour les patients sortis de réanimation, dont certains sont presque paralysés des 4 membres et auront besoin de 2 ou 3 mois de rééducation”, décrit-elle.

Dans cet hôpital, après une première quinzaine épique, les équipes ont pris leurs marques, tant bien que mal. “Lorsque les premiers patients covid sont arrivés, ça a été compliqué. Et c’est dur de voir les collègues tomber malades (8 à ce jour, dont je prends des nouvelles régulièrement). Mais aujourd’hui, nous avons pris le rythme et grâce à un important travail de réorganisation des plannings, nous sommes rodés. Je suis plus sereine. Nous avons appris à gérer les patients qui deviennent positifs au covid alors qu’ils sont chez nous”, confirme Aude Quesnot.

Explosion du nombre d’appels sur la plateforme de soutien de SPS

Entre le 23 mars et le 3 avril, la plateforme a traité plus de 1 200 appels, émanant pour les 3/4 de femmes et de salariés. Plus de la moitié des appelants sont des infirmières, des aides-soignantes et des médecins. Un quart sont des directeurs et des managers (présidents de CME, cadres de santé), comme cette directrice d’Ehpad qui se dit “très affectée par le décès de ses résidents. Je me sens épuisée pour accompagner correctement mes équipes soignantes. Je me sens seule et impuissante dans le bateau qui coule”.

Un quart de ces personnes appellent la nuit ou le dimanche. Chaque appel dure en moyenne 18 minutes. La totalité des appels concernent les répercussions de la crise du Covid-19 sur les personnels de santé.

38 % des appelants manifestent leur anxiété face à des situations de soins délicates. Un quart souhaite vérifier la possibilité de transmettre le Numéro Vert (0 805 23 23 36, appel anonyme et gratuit, 24h/24 et 7j/7) à leurs équipes.

Ces appels émanent en majorité d’Île-de-France (30 % des appels), de la région Grand Est (12 %), d’Auvergne Rhône-Alpes (12 %) et d’Occitanie (8 %).

En pratique, tout a changé
Certaines choses ont changé radicalement. “On passe énormément de temps à s’habiller et se déshabiller : il faut compter 45 minutes, contre 20 minutes habituellement. Et il est impossible de quitter la chambre au milieu d’un soin. Même chose lorsqu’un patient doit être déplacé pour passer un examen : il faut désinfecter intégralement son lit avant de le sortir”, note Marc, qui travaille en secteur covid non réanimatoire dans un petit hôpital dans l’Ouest de la France.

“On est dans le jus, on enchaîne les patients”, raconte Anne [2], qui exerce depuis 3 ans dans un service de réanimation dans un hôpital privé parisien. “On a bien eu des formations à la suite des attentats de 2015 et en prévision de la Coupe du monde de foot féminin, l’an dernier, mais on ne s’est jamais trouvés confrontés à une telle situation.”

Les 15 premiers jours, chacun s’est débrouillé comme il pouvait, avec des consignes qui évoluaient presque chaque jour, et souvent une pénurie de matériel. “Pour apprendre à s’habiller, on nous a demandé de regarder une vidéo YouTube, et dans mon esprit, ce n’est pas professionnel”, expliquait une sage-femme au journal Le Monde [1]. Heureusement, dans d’autres établissements, on a organisé de nombreuses réunions d’information. “Nous l’avons fait pour tout le personnel pendant les 15 premiers jours, dans de grandes salles où nous pouvions nous tenir espacés les uns des autres, ou par petits groupes, pour que tout le monde puisse être au fait des dernières informations”, confirme Aude Quesnot.

Là où travaille Anne, les médecins hygiénistes s’efforcent de compulser toutes les informations disponibles pour les diffuser au personnel, chaque jour ou presque. “Il y a eu un moment où les recommandations changeaient tous les jours, voire au cours d’une même journée (en particulier celles qui émanaient de l’ARS). Pas facile de s’y retrouver !”

Dans les établissements ou les unités habituées à recevoir des personnes âgées, le personnel est généralement rôdé aux gestes barrière, qui sont appliqués chaque hiver durant l’épidémie de grippe.

Mais le matériel manque presque partout. “Nous manquons déjà de surblouses, de gants, etc. alors que nous n’avons pas atteint le pic de l’épidémie ! Nous faisons appel aux dons auprès des entreprises de la région”, explique Aurore [2], kinésithérapeute hospitalière dans un service de gériatrie et infectiologie – “en première ligne, donc”.

Conséquence : “Sur les patients covid, nous essayons de n’intervenir que lorsque c’est indispensable parce que les kinésithérapeutes, qui se déplacent beaucoup de chambre en chambre, risquent d’être vecteurs du virus. Entre confrères, nous réfléchissons à des protocoles pour nous mettre d’accord sur les cas qu’il faut continuer à suivre ou non, puis nous les soumettons aux médecins des secteurs concernés. À ce jour, ce sont les BPCO et les patients asthmatiques.”

Le 22 mars, Anne postait sur Facebook un message pour demander à ses confrères libéraux s’ils pouvaient prêter à l’hôpital des coussins cylindriques, demi-cylindriques ou trapézoïdes pour pouvoir mettre tous les patients covid atteints de syndrome de détresse respiratoire aiguë en décubitus ventral. L’hôpital n’en avait pas assez et les délais de livraison étaient trop longs. Elle en a trouvé.

L’ancienne perchiste Vanessa Boslak, qui travaille aujourd’hui dans une clinique privée de l’ouest parisien, a demandé des masques à un ami tatoueur et un patient qui travaille dans le bâtiment... En guise de surblouses, certaines de ses collègues utilisent des sacs poubelle [3]. Au CHU Henri Mondor, à Créteil, on demande aux kinésithérapeutes de recycler les blouses qui étaient auparavant à usage unique, et qu’il est difficile d’ôter sans les déchirer.

À Versailles, la situation est un peu moins critique mais “nous suivons nos stocks de très près. Le matériel de protection est distribué chaque matin. Nous avons reçu des dons de la part d’esthéticiennes, notamment. Et nous avons réussi à trouver un stock de blouses et casaques en tissu qu’il faudra laver, mais qui sont efficaces”, complète Aude Quesnot. Pour les gants et les masques, pas question de bricoler : ils utilisent du matériel homologué.

Patient en service de réanimation, dans un hôpital parisien.

Situation dramatique pour les patients âgés
Dans le Grand Est, la situation a été particulièrement tendue, et le demeurait lorsque nous avons pu échanger avec Faustine [2], une kinésithérapeute qui exerce dans un établissement comprenant un SSR, une USLD et un Ehpad. “Nous sommes entrés dans une période où les patients tombent comme des mouches, surtout en USLD. Et nous avons identifié un premier cas de covid en SSR. On prodigue des soins de confort, on les accompagne”, explique-t-elle. “Le plus dur est de voir les résidents confinés seuls dans leur chambre. Certains n’ont pas de téléphone portable, pas de télévision. Le temps est terriblement long pour eux. Le directeur a fait acheter 4 ipad pour leur permettre d’appeler leur famille en visio, on s’en occupe de temps en temps. Je vis avec la peur de rapporter le virus à la maison... mais je continue à travailler. Ces personnes n’ont que nous ! Toute l’équipe est au taquet”, assure-t-elle. “Ceux qui doivent se mettre en arrêt quelques jours culpabilisent.”

La délicate gestion des ressources humaines
On en est arrivé à une situation absurde : on exige des mesures de protection et d’hygiène draconiennes, mais on demande aux soignants touchés par le Covid-19 de revenir travailler le plus vite possible, tant le personnel manque, sans respecter les 14 jours de confinement réglementaires. “Infecté il y a 15 jours, j’ai repris mon poste il y a 3 jours. J’avais peur d’être considéré comme un pestiféré par mes collègues. Certains m’ont manifesté leur crainte d’être contaminés, mais finalement le fait que je revienne a été perçu comme un message positif et rassurant. Cela permet de montrer qu’avec le coronavirus le pire n’est pas inéluctable et qu’on peut s’en sortir”, expliquait un chef de service en Guadeloupe [1]. “Il manque tellement de personnel que tant que les gens tiennent debout, on leur demande d’être à leur poste”, résume Alexandra Manonni.

Dans l’hôpital où travaille Aurore, “en prévision de la période où un grand nombre de patients auront besoin de rééducation, après être sortis de réanimation, la direction nous a demandé de prendre des jours de repos anticipés”.

À l’AP-HP, les kinésithérapeutes libéraux qui ont une expérience en réanimation sont les bienvenus pour aider, s’ils le peuvent. Alexandra Mannoni s’est portée volontaire au CHU Henri Mondor, à Créteil. Avec une quinzaine de confrères libéraux, elle a intégré une équipe qui est à ce jour exclusivement dédiée à la mise en décubitus ventral ou dorsal des patients en réanimation. “Je suis libérale et cela me crevait le cœur d’être contrainte de fermer mon cabinet et de ne rien pouvoir faire, en pleine crise sanitaire. Je me sentais complètement inutile. Alors j’ai eu l’idée de venir en renfort pour aider les internes et les confrères qui s’occupent habituellement de ces gestes, à réaliser toutes les 12h”, explique-t-elle. Elle a reçu une formation par les kinésithérapeutes du CHU. “Ce qui complique les choses, ce sont tous ces tuyaux. Certains patients sont même en circulation extra-corporelle. Et chez ceux qui sont immobiles depuis longtemps, y a des risques de luxation (c’est pour cela qu’il y a toujours un kinésithérapeute présent). Le but de la formation était de nous apprendre à faire le bon geste au bon moment, de façon synchronisée.”

Ensuite, elle travaillera dans le nouveau bâtiment “RBI” (réanimation-blocs-interventionnel), qui vient d’être ouvert et où seront orientés les patients atteints du covid, de façon à libérer des places au sein des autres services. Elle interviendra auprès de patients extubés, sortis de réanimation, qui devraient être installés en nombre cette semaine, à l’étage de ce bâtiment flambant neuf. 85 lits de réanimation armés sont prévus, et la moitié en post-réanimation.

La solidarité se manifeste également de la part de ceux qui ne peuvent plus travailler actuellement : “Des infirmières scolaires viennent en renfort en tant qu’aide-soignantes.” Mais attention, on ne peut pas propulser n’importe qui à n’importe quel poste : “On ne devient pas kinésithérapeute de réanimation en 2 semaines, plutôt en 6 mois. On peut multiplier par 3 le nombre de lits de réanimation en quelques jours, mais pas le nombre de professionnels dûment formés aussi vite”, avertit Marc. Ce que confirme Anne, une consœur qui exerce dans un service de réanimation depuis 3 ans, dans un hôpital privé parisien : “On a besoin de recruter rapidement des kinésithérapeutes formés à la réanimation, parce qu’on n’a pas du tout le temps de le former actuellement.”

Ses tâches habituelles n’ont pas changé, mais le nombre de patients a été multiplié par 4. “Notre service de réanimation s’est retrouvé plein en 1 semaine. Nous sommes 2 kinésithérapeutes, il nous est devenu impossible de tout faire, c’est pourquoi nous cherchons à recruter.” Jour et nuit, le personnel présent a été doublé. “À ce stade, avec mon confrère, nous travaillons 6 jours sur 7. L’un fait le samedi, l’autre le dimanche, et quelques libéraux viennent en renfort ponctuellement, en attendant qu’on recrute. On espère tenir le plus longtemps possible. On se repose comme on peut, on essaie de partir pas trop tard quand c’est possible, notre cadre insiste là-dessus”, note Anne, dont certains collègues refusent d’être en contact avec des patients covid. “C’est très fatigant, y compris sur le plan psychologique. On voit beaucoup de décès.”

Comment les SSR se préparent à la vague de patients qui sortiront de réanimation

Après un séjour en réanimation, les patients peuvent avoir des séquelles pulmonaires, mais aussi des séquelles liées à la réanimation, des polyneuropathies. Ceux qui y restent 2 à 3 semaines souffrent d’un déconditionnement majeur. Ils ne pourront pas rentrer directement chez eux. Ils auront besoin d’aide pour réapprendre à respirer, déglutir, se tenir debout ou assis... Les centres de rééducation se préparent donc à les accueillir. Les premiers patients seront peut-être contagieux : ils seront donc installés dans des unités covid, qui auront besoin de matériel de protection (or les dotations sont très hétérogènes) et de personnel. Certains centres fonctionnent sur la base du volontariat, d’autres font avec leurs ressources habituelles.

Le personnel est formé aux différentes techniques d’hygiène et aux gestes barrière.

La rééducation durera plusieurs semaines et sera pluridisciplinaire : kinésithérapie musculaire, articulaire et fonctionnelle, rééducation respiratoire, reconditionnement grâce à des activités physiques adaptées... en chambre si le patient est contagieux. Les plateaux techniques restent pour l’instant fermés.

Ensuite, les kinésithérapeutes libéraux auront fort à faire pour prendre le relais.

Quand les consignes sont floues
Marc estime avoir “eu le temps de se préparer à l’arrivée de la vague, par rapport aux collègues du Grand Est ou de la région parisienne. Grâce à cela, nous étions relativement sereins et sûrs de nous lorsque les premiers patients covid sont arrivés. Le Collège national de la kinésithérapie salariée (CNKS) et certaines sociétés savantes ont joué un rôle important dans la diffusion des informations utiles. Par exemple, la Société française d’hygiène hospitalière nous a dit qu’on pouvait garder un masque FFP2 pendant 8h, alors qu’avant on nous disait 4h maximum”, précise-t-il. “En interne, nous avons eu plusieurs réunions d’information sur l’hygiène.

Une tous les 2 ou 3 jours, au début, parce que les choses évoluaient très vite.”

Le flou est venu de la multiplicité des sources d’informations : direction de l’hôpital, conseils départemental et régional de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, syndicats, Direction générale de la santé... “Ils n’étaient pas coordonnés et cela a donné lieu à une masse d’informations difficiles à assimiler pour nous. Heureusement, cela se calme un peu.” Au final, il trouve “formidable qu’on ait résolu tant de choses si rapidement. En interne, on a trouvé des solutions en une demi-journée, alors qu’avant il aurait fallu des mois...”.

Reste que l’épidémie est difficile à maîtriser. Combien y aura-t-il de malades ? Combien devront aller en réanimation ? Combien de temps va durer l’épidémie ? D’habitude, en cas de crise (épidémie de grippe, attentat, tempête...), on peut calculer à peu près tout ça, donc on peut se projeter vers le moment où ce sera fini. Là, c’est impossible.

Sans oublier la peur de contaminer ses proches, en rentrant à la maison. Alexandra Mannoni, qui travaille chaque jour auprès de patients malades du Covid-19, a mis au point un protocole draconien lorsqu’elle rentre chez elle le soir, sur le conseil d’amis médecins : “Je me déshabille sur le palier, je mets tous mes vêtements dans un sac poubelle qui restera 2 jours sur le balcon et je file me doucher. Après seulement, j’embrasse mes enfants et mon mari.”

Dans ces circonstances, les nombreux dons émanant de l’extérieur (restaurateurs, boulangers, patients, anonymes…) remontent le moral des soignants. Faustine et son équipe ont reçu “des masques, des charlottes, mais aussi des chocolats et des fleurs, rien que pour nous !”, s’enthousiasme-t-elle. “L’application de méditation Petit Bambou nous a offert 3 mois d’abonnement gratuits, et on nous livre des repas cuisinés pour qu’on mange bien”, apprécie Anne, dont la direction a fait venir un coiffeur pour prendre soin du personnel. “Je me sens plutôt bien lotie par rapport à beaucoup de confrères. Le privé, ça a du bon !”

L’épidémie a également resserré les liens en interne. “La direction est hyper attentive. Elle fait tout pour prendre soin de nous comme des résidents”, estime Faustine.

L’exposition des soignants au Covid-19 ne suffit pas à légitimer un droit de retrait

À l’hôpital, les agents n’ont pas le droit d’exercer leur droit de retrait au seul motif d’une exposition au coronavirus. La Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) a publié fin mars une note précisant les modalités de recours au droit de retrait en cas de danger grave et imminent. Or en période d’épidémie, “les professionnels exposés au risque de contamination du virus du fait de la nature de leur activité habituelle ne peuvent légitimement exercer leur droit de retrait [...] au seul motif d’une exposition” au Covid-19.

Deux raisons à cela : ils sont déjà “systématiquement exposés à des agents biologiques infectieux du fait même de l’exercice normal de leur profession (risque professionnel)”, et leur “maintien en poste s’impose” pour éviter toute mise en danger d’autrui.

Les agents qui exerceraient leur droit de retrait de façon illégitime s’exposent à des sanctions ou retenues sur salaire.

En revanche, insiste la DGFAP, ces personnels doivent bénéficier de mesures de protection renforcées : masques, consignes d’hygiène, dispositifs d’organisation, suivi médical, etc.

De quoi ont besoin les patients en réanimation ?
“Les patients atteints du Covid-19 admis dans les services de réanimation sont dans un état grave et en grande souffrance respiratoire. Ils sont intubés et branchés pendant une quinzaine de jours à un ventilateur mécanique, ce qui nécessite de les maintenir dans un coma artificiel durant une grande partie de cette période. Pendant ce temps, ils perdent leurs muscles parce que le corps se défend contre l’agression, ce qui provoque un état de stress, et parce que les muscles ne sont plus sollicités. Se développe une neuromyopathie acquise en réanimation”, expliquait un kinésithérapeute de réanimation d’un hôpital parisien qui témoignait sur Facebook fin mars.

“Elle se traduit au réveil du patient par un tableau clinique allant de la tétraparésie à la tétraplégie flasque. Le patient va se réveiller impotent. Cela s’accompagne d’une atteinte des muscles respiratoires, ce qui rend le sevrage du ventilateur encore plus difficile.” Dans ce contexte, le rôle du kinésithérapeute “est de prévenir au maximum l’apparition de la neuromyopathie. Pendant la phase de coma, on essaie de mobiliser passivement les patients. Même si ces méthodes font parfois débat en temps normal, vu la gravité de la crise, on ne peut pas se permettre de les rejeter. Ensuite, dès que les patients commencent à se réveiller, il les mobilise plus activement et tente de les faire bouger le plus tôt possible, y compris pendant qu’ils sont encore intubés : il s’agit de les faire s’asseoir au bord du lit, les mettre au fauteuil, voire de leur faire faire du vélo. Le but est de limiter la fonte musculaire et d’essayer de les rééduquer le plus rapidement possible, afin qu’ils puissent être autonomes dès l’extubation et accélérer la sortie de réanimation”. Pour se guider, les kinésithérapeutes suivent notamment les recommandations publiées fin mars par la Société de kinésithérapie de réanimation [4].

Une fois sortis de réanimation, les patients ne sont pas tirés d’affaire (lire aussi l’encadré p. 11). “Nous craignons que certains fassent des pneumopathies”, note Aurore, qui traite essentiellement des patients âgés. “Globalement, il faut tout réactiver : la respiration, la déglutition, sans parler de la fonte musculaire et de tout ce qui est moteur.” Certains pourront peut-être être suivis en libéral... à condition que les cabinets aient l’autorisation de réouvrir.

“Les patients extubés ont des difficultés respiratoires, de grosses amyotrophies, une altération générale de leur état, ils auront besoin de réentraînement à l’effort... La kinésithérapie a toute sa place dans ce cadre !”, énumère Alexandra Mannoni, qui se sent prête. “J’ai fait des stages en pneumologie donc je connais tout cela. Il n’y a pas de geste technique compliqué.”

Chacun pense déjà à “l’après”
Dans quel état notre système de santé sortira-t-il de la crise ? Comment va-t-il se réorganiser ? Peut-on espérer un retour à la normale ? Ces questions se posent déjà. C’est bien beau d’applaudir les soignants (et les caissières, les éboueurs, le secteur médico-social...) chaque soir à 20h, mais ça ne règlera pas les problèmes de fonds qui ont miné l’hôpital public, en particulier. “On est tous dans une lessiveuse en ce moment, mais après il faudra voir ce qui a dysfonctionné, comment on en est arrivé là”, insiste Vanessa Boslak [3], qui attend “une réponse de l’État”. “On n’attend pas des remerciements mais des moyens ! Et cela fait des années qu’on le crie. Nous souffrons du manque de moyens au quotidien”, confirme Aurore, qui envisage de quitter l’hôpital lorsque la crise sera passée. “L’idée me trottait dans la tête. L’épidémie a achevé de me convaincre. Peut-être que je vois tout en noir parce que je suis en plein dans une situation dramatique... Mais le système (la tarification à l’activité, etc.) est pourri. Nous sommes toujours en sous-effectif : quand je suis arrivée il y a 5 ans, nous étions 37 kinésithérapeutes. Aujourd’hui : 24. En temps normal, le seul souci de notre direction, c’est combien ça coûte ?

Emmanuel Macron a fait quelques annonces le 13 avril. Il s’est notamment prononcé en faveur d’un “plan massif” pour la santé, la recherche et les aînés. Inutile de dire qu’il sera attendu au tournant. “Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays aujourd’hui tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal”, a-t-il déclaré. Comme celles et ceux qui portent à bout de bras l’hôpital public, et qui manifestent depuis 1 an pour obtenir plus de moyens ?

[1] “Journal de crise des blouses blanches”, Le Monde, 2 avril 2020.
[2] Ces personnes ont souhaité rester anonymes.
[3] Source : interview sur France Bleu le 7 avril.
[4] à retrouver sur www.skreanimation.fr

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