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La nicotine n'est pas le traitement miracle contre le Covid-19

Sophie Conrard
- 28 avril 2020

Lors de son traditionnel point presse le 22 avril, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, a appelé à la prudence dans l'interprétation des données observationnelles suggérant un potentiel effet protecteur de la nicotine dans le Covid-19.

La faible part de fumeurs quotidiens parmi les patients atteints de Covid-19 par rapport à la population générale a été confirmée par une étude de l'AP-HP dévoilée le 21 avril, suggérant que la nicotine pourrait avoir un effet protecteur contre l'infection par le Sars-Cov-2. Jérôme Salomon a lancé un appel à la prudence. "Il faut être très prudent dans ces études observationnelles", notamment parce que le taux de tabagisme varie en fonction des pays, du sexe et de l'âge.

S'il juge la piste "intéressante", il a insisté sur le fait que ce n'était qu'une "hypothèse" qui nécessite une "confirmation totale". Il a expliqué que des protocoles pour le vérifier avaient été déposés, avec différentes approches thérapeutiques et différentes populations cibles. "J'encourage les Français à ne pas confondre piste de recherche et fait établi. Ce qui est établi, c'est que les fumeurs présentent des formes graves de Covid-19, notamment en réanimation", a-t-il affirmé, soulignant un fait "totalement avéré : le tabac est le tueur n°1 en France" et cause 75 000 décès par an".

Le directeur général de la santé a réaffirmé que la lutte contre le tabagisme constituait une "priorité absolue de santé publique, et qu'il ne fallait "absolument pas" que les Français s'automédiquent avec des substituts nicotiniques pour bénéficier d'un hypothétique effet protecteur contre le Covid-19. Ces produits ont "beaucoup d'effets secondaires" et entraînent des addictions.

L'avis d'un addictologue

Fumer double le risque de formes graves du Covid-19

Non, la nicotine n’en est pas le traitement miracle. Attention aux affirmations péremptoires et définitives. Aujourd’hui rien ne vient confirmer un effet « protecteur » de la nicotine ou des autres composants de la fumée de tabac chez les patients Covid-19. Bien au contraire.

La dernière méta-analyse sur ce sujet étudie 9 025 patients [1]. Elle montre une association significative, c’est-à-dire forte, entre le fait de fumer et les formes sévères de la maladie : la probabilité est multipliée par 2,2. Il est important de comprendre qu’il ne s’agît pas d’une ou deux études prises au hasard mais de la somme de 12 publications chinoises, coréenne et américaine. De plus, aucun rationnel (mécanisme) ne vient étayer l’hypothèse d’une action protectrice !

Aussi, soyons attentifs au colportage des informations non validées ; trop de fumeurs cherchent une excuse pour ne pas arrêter et les manufacturiers du tabac sont au coin de la rue pour amplifier une rumeur qui les arrange, y compris les promoteurs de la vaporette.

Quant aux recommandations, elles sortent renforcées de ces travaux : entre confinement, tabagisme passif, personnes fragiles ou à risque, complications graves, les fumeurs sont invités à arrêter de fumer avec le soutien des consultations tabac via la télémédecine ou Tabac-Info-Service.

Concernant l'étude de l'AP-HP, d'une part elle n'a pas été prise en compte dans la méta-analyse que je cite, d'autre part ils sont en train de démarrer une nouvelle étude pour vérifier les résultats de la première. Elle est donc à prendre avec beaucoup de précautions.

Dr Étienne André, addictologue

[1] Patanavanich R., Glantz SA. Smoking is Associated with COVID-19 Progression: A Meta-Analysis, medRxiv preprint doi: https://doi.org/10.1101/2020.04.13.20063669

© Serhii Sobolevskyi/Istock/Getty Images Plus

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