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Sophie Pierrard «J'aime toucher à tout et travailler en interpro»

Sophie Conrard
Kiné actualité n° 1646 - 25/01/2024

Sophie Pierrard est la première kinésithérapeute coordonnatrice en hospitalisation à domicile (HAD) de France. Elle a pris ses fonctions en septembre dernier pour le réseau HAD Saumurois (groupe LNA Santé).
Quelles sont ses missions ? À quoi ressemblent ses journées ? Éléments de réponse.

Kiné actualité : Quel a été votre parcours et qu’est-ce qui vous a poussée à devenir kinésithérapeute coordonnatrice en HAD ?

Sophie Pierrard : Cette fonction de coordonnation est la suite logique de mon parcours, marqué par une dynamique interprofessionnelle. Je fais beaucoup de choses et je suis une vraie “touche à tout” ! Diplômée en 2014 de l’IFMK d’Orléans, je suis revenue là où j’ai grandi en 2015 pour m’installer en libéral. Syndiquée à la FFMKR 49, j’en ai intégré le conseil d’administration en 2017 et j’en suis aujourd’hui la présidente. Les années suivantes, je me suis fortement impliqué au niveau local notamment dans l’exercice interprofessionnel, en participant à la création de notre CPTS dont je suis l’actuelle secrétaire et en intégrant une MSP [1]. Je suis également devenue responsable du secteur de garde de kiné respiratoire, puis référente en accès aux soins de kinésithérapie pour la CPTS, grâce au support des confrères de notre réseau de garde, qui se sont embarqués dans l’aventure CPTS. Je suis également élue ordinale et tout dernièrement élue au sein du bureau de la FCPTS en tant que trésorière adjointe.

Récemment, les missions des HAD ont évoluées, avec notamment, en plus de la mission socle traditionnelle, la mise en place d’une mission optionnelle dite “de rééducation”. La mise en avant de la filière de rééducation est le résultat d’une chute vertigineuse ces dernières années des inclusions en HAD cotées neurologie ou orthopédie. L’HAD-R se distingue de l’HAD classique par la mise en place de 5 séances dites de rééducation par semaine. Il s’agit d’une véritable rééducation intensive pluriprofessionnelle au domicile du patient. Et pour cela, il faut un chef d’orchestre : le kiné coordonnateur. Le directeur adjoint de l’HAD Saumurois voulait lancer cette HAD-R sur notre territoire et mon profil lui a plu, notamment ma connaissance du territoire et de ses professionnels libéraux. Par ailleurs, nous avions déjà un contact privilégié car la FFMKR 49 et la HAD du Saumurois avaient signé une convention ensemble.

Nous nous sommes rencontrés en juin 2023, et il m’a laissé l’été pour y réfléchir et m’organiser car je tiens à conserver mon activité libérale, déjà fortement impactée par l’ensemble de mes engagements. C’est ainsi que depuis septembre, je me suis lancée dans l’aventure HAD, et notamment la création et la mise en place de l’HAD-R.

En quoi consiste votre mission de coordonnation ? Pouvez-vous nous en donner un aperçu concret ?
Bien que mon embauche a été permise par l’HAD-R, je m’occupe de l’ensemble des soins de rééducation de l’HAD. L’éventail de mes missions est relativement large, j’interviens tout au long du parcours du patient. J’évalue les besoins en soins de rééducation et de réadaptation pour les patients en pré-admission, ou pour les patients déjà pris en charge en collaboration avec les médecins de l’équipe. Je participe à la rédaction du plan de soins personnalisé en accord avec les médecins et le patient. Je suis en charge de coordonner les soins de rééducation selon le plan de soins, de la recherche des acteurs jusqu’au suivi (traçage, transmissions, etc.). Je dois également veiller à la qualité des soins avec le suivi des indicateurs, qui servent également pour la certification de l’établissement. Je participe en outre, avec le directeur adjoint, à l’élaboration du budget rééducation, ce qui a permis de mettre en place du matériel de rééducation directement à domicile. J’assure une veille documentaire, notamment via la Fnehad [2], sur tout ce qui tourne autour de la prise en charge à domicile, et plus particulièrement les soins de rééducation. Je participe à la promotion de l’HAD-R via la création et la diffusion d’outils de communication ou via des interventions essentiellement auprès des prescripteurs, afin de présenter l’HAD-R. Celle-ci permet, en plus de l’HAD classique, une rééducation intensive pluriprofessionnelle à domicile, avec 5 séances par semaine, un peu dans l’esprit d’un SSR mais directement au domicile.

Y a-t-il beaucoup de tâches administratives ?
C’est un poste administratif, cela constitue la majorité de mon temps de travail. Entre la création d’outils de communication, les fichiers Excel de suivi, la réalisation des lettres de mission, le mailing ou encore la création de conventions de collaboration entre l’HAD et les professionnels libéraux.

Pour les conventions, je me suis appuyée sur celle des kinésithérapeutes qui avait été négociée par la FFMKR 49 : une seule cotation (AMK 15 pour 30 minutes de soins) et pour les déplacements, c’est 20 €, quelle que soit la distance. Ce qui est dommage, c’est qu’elle ne valorise pas les bilans dans l’immédiat, puisque c’est la même cotation qu’une séance. Mais cela va peut-être changer avec la future convention qui doit être signée entre la Fnehad et la FFMKR. Pour les autres professions de rééducation, le principe est le même : une cotation unique et un déplacement mieux valorisé.

Je passe beaucoup de temps au téléphone, lors de la phase de recherche de professionnels, également lors du suivi, ainsi qu’avec les patients et leurs familles.

Le temps non administratif est composé de temps d’échange avec les équipes, notamment avec les staffs de transmissions, ou pour les visites à domicile de préadmission ou de suivi.

Les difficultés auxquelles je peux être confrontée sont majoritairement le manque de professionnels libéraux, notamment chez les orthophonistes où les listes d’attente sont très longues, et le manque de traçabilité des soins. Lorsque je suis arrivée, aucun bilan n’était transmis et un seul confrère “cliquait” ses soins effectués…

Qu’entendez-vous par “cliquer les soins” ?
On s’appuie sur une plateforme commune, où se trouve notamment les dossiers patients informatisés, les transmissions des autres professionnels de santé (c’est très intéressant !), etc. Après être passé chez un patient, il faut indiquer qu’on a bien effectué les soins en cliquant directement sur la plateforme. Pour la facturation, le professionnel libéral nous envoie sa feuille de soins. D’ailleurs, il va y avoir du changement cette année dans notre HAD, nous allons être pilote pour le paiement à l’acte pour les kinés, un professionnel aura 7 jours maximum pour cliquer sur la plateforme pour déclencher le paiement. Après, ce sera trop tard. Je vais donc passer du temps à veiller à ce qu’aucun n’oublie de le faire dans le délai imparti. Les soins d’HAD-R se déroulent du lundi au vendredi : le plus simple est de le faire en fin de semaine. Grâce à cela, le délai de paiement sera raccourci, puisque les soins seront payés tous les 10 jours, et plus besoin d’envoyer de feuilles de soins.

L’enjeu de “cliquer ses soins” est primordial pour l’HAD. Si la traçabilité des soins n’est pas bien établie, il n’y a pas de rémunération de l’HAD pour ces soins. Et elle doit rendre des comptes également, il peut y avoir des indus avec la CPAM, comme pour les libéraux, et puis il y a la certification HAS tous les 4 ans.

À mon poste, il faut une bonne connaissance des modes de facturation de l’HAD. Pour pouvoir valoriser les soins de rééducation, selon les motifs d’inclusion, il faut un nombre de séances par semaine à respecter pour un même patient. S’il n’y a pas eu un nombre suffisant d’interventions, l’établissement ne perçoit aucun revenu pour ces soins.

Vous réalisez parfois des soins de kinésithérapie ?
Non. Un kinésithérapeute coordonnateur ne fait pas de soins. Lorsque je vois un patient en tant que kiné coordonnatrice, c’est pour l’évaluer dans le cadre de la préadmission ou en visite de coordination de suivi. Mais il m’arrive de voir certains patients sous ma casquette de kiné libérale, si aucun confrère n’est disponible.

Ça vous occupe combien de temps par semaine ?
Mon contrat prévoit 45h30 par mois, soit 30 % d’un équivalent temps plein (le directeur souhaitait que je fasse 50h mais je ne pouvais pas faire plus). Cela correspond à environ 10h30 par semaine que j’ai réparties en 2 demi-journées, le lundi et le jeudi. La question du télétravail a été abordée mais je préfère être sur place, pour créer du lien. Il m’arrive de télétravailler en dehors de ces 2 demi-journées, en fonction des demandes, ou pour joindre mes collègues libéraux qui ne sont pas forcément disponibles sur mes demies journées.

Si je devais décrire une journée type, je dirais que mon heure d’arrivée n’est pas fixe mais j’essaie au maximum d’être là pour les transmissions avec les infirmières coordinatrices, les infirmières, les aides-soignantes, un médecin, l’interne, l’ergothérapeute, l’assistante sociale et la psychologue. C’est un moment d’échanges particulièrement intéressants.

Ensuite, je vais dans le bureau que je partage avec l’ergothérapeute. Je fais le point sur les entrées et les sorties, je fais le suivi des prises en charges (transmissions, traçabilité des soins, etc.) et je m’occupe des nouvelles demandes. Je parcours l’agenda papier, qui reste un outil incontournable où tout est noté et visible d’un coup d’œil. Il recense l’intégralité des RDV des patients, dont les séances de rééducation. Cela permet de prévenir le professionnel en cas de souci, surtout si je suis absente ce jour-là. J’interviens parfois à l’hôpital ou à domicile, comme indiqué précédemment pour les visites de pré-admission ou de suivi.

Quelles sont vos relations avec les autres professionnels de santé ?
Je travaille en lien avec l’ensemble des salariés de l’HAD (administratifs et soignants) notamment l’infirmière coordinatrice et l’infirmière de liaison, les médecins et internes, les infirmières, les aides-soignantes, la psychologue, l’assistante sociale, le MPR qui vient d’arriver, et je partage mon bureau avec l’ergothérapeute. Au niveau libéral, c’est pas moins de 200 professionnels de santé de la rééducation sur notre territoire, dont 25 % ont conventionné avec l’HAD. Tout se passe bien : j’ai l’habitude de travailler interpro. Grâce à mon investissement au sein de la CPTS, j’étais déjà en lien avec de nombreux professionnels et mon point fort, c’est qu’avec mon statut à la fois salariée et libérale, je saisis mieux les enjeux de chacun.

Comment avez-vous été accueillie lors de votre prise de fonction ?
Au départ, il y a eu quelques turbulences. Le poste n’existant pas, il a fallu s’intégrer à cette mécanique déjà bien rodée. Mon statut mixte et mes horaires variables ont également surpris. Les infirmières coordinatrices s’occupaient de la coordination des soins avant mon arrivée, il nous a fallu apprendre à travailler ensemble. D’autant que l’ergothérapeute est arrivée peu de temps après moi, et que l’HAD-R, c’était tout nouveau également. Nous avons trouvé notre ordre de marche, il règne une bonne entente et un esprit d’équipe, c’est très agréable. Mon intégration est totale.

Êtes-vous soumise à une hiérarchie ?
Je “rends des comptes” au directeur adjoint, qui me laisse une grande autonomie. J’ai par exemple pu commander du matériel pour les kinésithérapeutes : des sacs avec tout le nécessaire pour travailler au domicile du patient, où il n’y a parfois pas beaucoup d’accessoires. Je suis en train de négocier avec Décathlon pour qu’ils acceptent d’installer des vélos au domicile des patients pour une courte durée : actuellement, ils le font pour 3 mois minimum, ce qui ne correspond pas au profil de nos patients, qui en auraient plutôt besoin pendant 2 ou 3 semaines.

Quel est le profil type des patients en HAD-R ?
L’HAD prend en charge des personnes de tous âges, atteints de pathologies graves aiguës ou chroniques, évolutives et/ou instables. L’HAD de réadaptation s’adresse à des patients présentant une ou plusieurs déficiences ou incapacités (quelle que soit la pathologie) nécessitant une rééducation/réadaptation pluridisciplinaire coordonnée par un médecin de médecine physique et de réadaptation (MPR), avec un programme soutenu et limité dans le temps, dans un but de gain ou de maintien fonctionnel et de meilleure qualité de vie. Il peut donc s’agir de neurologie (AVC, SEP…), orthopédie, traumatologie, cardiologie, etc.

Comment vous êtes-vous formée et préparée à ce job ?
Mon expérience en interpro m’a aidée. En tant que coordonnatrice, je travaille avec de nombreux professionnels différents : il faut donc avoir des facultés d’adaptation ! À part ça, j’ai bénéficié d’une formation en interne sur la visite de préadmission, on m’a montré comment fonctionne les différents outils numérique donc la plateforme en ligne. J’ai échangé avec une kinésithérapeute d’une HAD du groupe qui prend en charge des patients en HAD et qui avait déjà mis en place un peu d’HAD-R. Il n’y a pas de formation en tant que telle pour la coordonnation. La Fnehad commence à mettre en place des formations sur comment développer la mention de réadaptation dans son établissement. Le groupe dont je fais partie a également mis en place des “journées métiers”, j’ai eu l’occasion de participer à celles de la rééducation, c’était très enrichissant, mais elles s’adressent davantage à des cadres de centre de rééducation, bien qu’on ait des éléments en commun.

Sur le plan financier, est-ce un poste intéressant ?
Tout dépend de la situation. Mon statut mixte libérale/salariée a du mal à s’équilibrer. Je suis payée 18,41 € bruts de l’heure, soit environ 15 € nets et j’ai des charges fixes relativement élevée à mon cabinet. À vrai dire, j’y perds un peu financièrement depuis septembre. Mais sur le plan physique, j’y trouve des avantages : ce travail de bureau est moins usant que mon travail au cabinet. Et surtout, ce job me plaît ! J’aime beaucoup ce que j’apporte aux patients et aux professionnels.

[1] Communauté professionnelle territoriale de santé. Maison de santé pluridisciplinaire.
[2] Fédération nationale des établissements de HAD.

© D.R.

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