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Menace sur la balnéothérapie : Ce qu'en pensent les kinés

Enfant handicapé en séance d'hydrothérapie avec une kinésithérapeute, pour soulager ses douleurs.

Jean-Pierre Gruest
Kiné actualité n° 1404 - 07/05/2015

Complément efficace de la rééducation, la balnéothérapie implique de lourds investissements. D'où un usage souvent intensif, non seulement parce que les patients qui en ont besoin sont nombreux, mais aussi pour la rentabiliser, avec parfois des soins hors convention ou des activités non thérapeutiques (aquagym, remise en forme...). Une opportunité tout à fait légitime aux yeux des kinésithérapeutes, qui entendent la défendre face à la concurrence [1].

Les masseurs-kinésithérapeutes connaissent les bienfaits de la balnéothérapie. À Saint-Lô (Manche), où exerce Reda en SCM (société civile de moyens) avec quatre associés, l'activité existe depuis la création du cabinet, il y a 35 ans : "Il s'agit d'un complément appréciable de la rééducation classique, qui permet une meilleure récupération des cas orthotraumatologiques et neurologiques, et une meilleure prise en charge de la douleur dans les cas rhumatologiques." Une opinion partagée par Sophie, de Laon (Aisne), qui l'utilise beaucoup avec des patients infirmes moteurs cérébraux (IMC), "pour lesquels la notion de bien-être est primordiale". Pour Mathilde, qui exerce en Eure-et-Loir, un autre avantage tient au fait que "le travail en piscine s'avère plus ludique", et donc plus motivant.
Intéressante pour le patient, la balnéothérapie l'est également pour le cabinet, à qui elle apporte une vraie plus-value. Ce qui explique sans doute pourquoi les cabinets de groupe ou pluridisciplinaires récemment créés, comme le Pôle Santé Sport de Rouen [2], celui de Sophie ou celui de Max, à Draguignan, comprennent un bassin. De quoi attirer de nouveaux patients et les fidéliser, avec l'appui du médecin traitant ou des chirurgiens après une intervention. "Beaucoup préfèrent venir se soigner chez nous plutôt que d'être hospitalisés à temps complet, ou d'aller en centre de rééducation. D'ailleurs, certains n'hésitent pas à faire 150 km aller-retour pour profiter de notre balnéothérapie", explique Reda, qui "n'hésite pas à garder un patient deux heures (une 'à sec', l'autre en piscine), si besoin, pour le prix d'une séance classique, sans dépassement d'honoraires".

Parfois "un gouffre financier"
La balnéothérapie suppose néanmoins de lourds investissements, tant en termes de construction que de coûts d'exploitation. "Cela peut s'avérer un véritable gouffre financier", reconnaît Sophie qui, avec deux confrères et cinq autres paramédicaux, a ouvert un centre de 400 m2 il y a un an, pour un montant global de 550 000 €. "La balnéothérapie, qui se trouve dans un espace dédié, avec une entrée distincte de la partie paramédicale, a coûté 75 000 €", précise-t-elle. Le montant annuel des charges est "énorme" : 20 000 €. Des montants que confirme Reda qui, avec ses associés, a fait bâtir un nouveau cabinet en 2012 pour répondre aux normes d'accessibilité. "Nous disposons d'un bassin de 6,5 m sur 4, qui nous a coûté 80 000 €", affirme-t-il. "Le souci avec ce type d'équipement n'est pas le bassin en soi mais, effectivement, les charges qui en découlent : il faut le remplir, le chauffer à 34°C, maintenir cette température constante, répondre aux normes d'hygiène (PH, chlore…), etc. Depuis l'inauguration, nous avons été contrôlés à deux reprises par l'ARS, qui nous a imposé une pompe doseuse à 5 000 € pour que notre plateau technique remplisse son cahier des charges."

Une concurrence déloyale ?
Dans ces conditions, le jeu en vaut-il la chandelle ? "Non", pour Arnaud, de Rodez, qui, après quinze années de balnéothérapie, a décidé d'arrêter il y a deux ans. "Malgré quinze à vingt patients en piscine chaque jour, les bénéfices de l'activité compensaient tout juste les frais d'entretien et d'exploitation", explique-t-il. De fait, le seul moyen de rentabiliser cet investissement important consiste à l'utiliser autant que possible. "La balnéothérapie est utilisée toutes les heures, en rotation avec mes cinq confrères, du lundi au vendredi et le samedi matin", détaille Max, qui travaille en piscine "neuf heures par semaine, à raison de six patients par heure".
Exerçant en cabinet de groupe près de Bordeaux, Pierre-Louis et ses cinq confrères ont trouvé un autre moyen d'amortir les frais de leur bassin de 9 m sur 6, avec jets et nage à contrecourant, construit il y a douze ans : quand ils ne l'utilisent pas pour des soins, ils le louent à une salle de gym attenante qui dispense des cours d'aquagym, d'aquabiking et de remise en forme. Autant d'activités non thérapeutiques qui pourraient être refusées aux kinésithérapeutes sous prétexte que, pour des raisons de sécurité et selon le code du sport, l'encadrement rémunéré de toute pratique sportive en milieu aquatique impose la détention d'un brevet professionnel de la Jeunesse, de l'éducation populaire et du Sport (BP JEPS), spécialité "activités aquatiques et natation" (AAN) [1]. Une mesure qui répondrait aux doléances des titulaires de ce brevet, qui peinent à trouver du travail à l'issue de leur formation et jugent que les kinésithérapeutes exercent à leur encontre une concurrence déloyale.

"Un compromis plutôt que tout perdre"
Même si, dans la majorité des cas, les kinésithérapeutes n'utilisent la balnéothérapie que dans un cadre purement thérapeutique, soit par choix, soit par manque de temps, cette perspective fait grincer les dents. "Une fois encore, on veut nous retirer du travail qui, jusque-là, était plutôt bien fait, je pense", regrette Fabien, de Saint-Jean-de-Luz, pour qui "les kinésithérapeutes sont tout à fait habilités à encadrer ce type d'activités". Même son de cloche chez Reda, pour qui "il est hors de question qu'un Apa ou Staps utilise notre piscine. Eux ne se gênent pas pour piquer notre boulot quand ils le peuvent".
"Qu'on arrête de nous dire qu'ils ont du mal à trouver du travail car il y a énormément de structures qui ont besoin d'eux (piscine publiques, centres aquatiques…). Le problème c'est qu'ils sont très exigeants, notamment en termes de salaire", s'agace Sophie. "D'après leur convention, ils devraient être au Smic, soit 9,61 € bruts de l'heure en 2015, et certains nous réclament jusqu'à 12,50 € nets, voire jusqu'à 35 € nets s'ils sont auto-entrepreneur ! En gros, on peut atteindre des salaires de l'ordre de 1 750 € nets pour un brevet d'État de niveau Bac, soit davantage qu'un kiné hospitalier", dénonce-t-elle, estimant que "ce monopole sur les activités aquatiques n'est pas justifié".
Pour Arnaud, qui précise avoir passé un brevet national de sécurité aquatique (BNSA) pour encadrer ses activités non conventionnées, "trouver un bon compromis vaut mieux que de s'offusquer et de monter au créneau, au risque de tout perdre. Je ne suis pas persuadé que nous soyons très nombreux à proposer de l'aquagym, par exemple". Il préconise donc d'ouvrir les portes du cabinet aux titulaires du BP JEPS AAN, mais après avoir préalablement fait un bilan kinésithérapique. "De simple effecteur, on devient organisateur et coordinateur", précise-t-il. "Si on avait accepté que d'autres massent sous notre responsabilité, peut-être n'aurions-nous pas perdu le massage…"

[1] Lire Ka n°1403 p. 16.
[2] Lire Ka n°1330 p. 14.

© SCIENCE SOURCE/PHANIE

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